
Les regards croisés : Antoine Tezenas du Montcel, Chargé d’études chez Alto Ingénierie
Antoine Tezenas du Montcel est ingénieur au sein du pôle Performance environnementale d’Alto ingénierie et accompagne les maîtres d’ouvrage public ou privés dans la phase conception/réalisation sur des projets avec des objectifs environnementaux forts, des démarches certificatives type HQE (…) ou des conceptions bas carbone (le plus demandé actuellement). Dans ce pôle, Antoine Tezenas du Montcel travaille beaucoup sur l’économie circulaire et notamment sur le réemploi des matériaux (dans des opérations de réhabilitation ou démolition reconstruction) ainsi que sur le recyclage.
Monsieur, vous êtes un expert reconnu des questions environnementales dans le bâtiment. Quelle est votre vision de l’économie circulaire ? Pourquoi l’économie circulaire ?
Tout simplement pour limiter les impacts de l’activité humaine sur la planète. Cela passe par la préservation des ressources et la limitation de la production de déchets sachant que le bâtiment est un des plus gros consommateurs de ressources et producteurs de déchets.
L’économie circulaire est un levier fort pour nos clients et tous les acteurs de la profession si on considère les déchets comme des ressources pour tendre vers un bâtiment décarboné.
Il faut prendre à mon sens l’économie circulaire dans sa globalité. Cela comprend aussi bien l’analyse du cycle de vie, qu’intégrer des matériaux recyclés, de favoriser le réemploi et le recyclage (matériaux en pose libre fixés mécaniquement ou facilement démontables ou séparés en fin de vie) et de penser les usages différemment.
Les objectifs de Tarkett sont tout à fait cohérents avec votre conception : augmenter les matériaux recyclés dans nos produits, proposer des solutions modulaires, en pose libre, pour favoriser le recyclage en fin de de vie. Comme nos produits ont une durée de vie très longue, le réemploi est compliqué (il pourrait être envisagé uniquement avec les dalles de moquette).
Le réemploi est à réfléchir au cas par cas. Il peut arriver que des revêtements de sol aient atteint la fin de leur durée de vie et ne soient plus en état d’être réemployés (sollicitation excessive pour garder leur aspect). Dans ce cas, le recyclage est la solution à prioriser. S’ils peuvent être totalement recyclés, c’est déjà très positif car le tri des déchets sur chantier reste un sujet délicat (bennes déclassées donc mal valorisées, etc.).
En région Parisienne, les rénovations ont lieu en moyenne tous les 7 ans ce qui est inférieur à la durée de vie des revêtements de sol. On peut donc envisager le réemploi de ces éléments (suivant l’état, les caractéristiques, etc.)
Par exemple, sur la plupart des projets immobiliers, il y a des témoins commerciaux qui ont une durée de vie de quelques mois uniquement : il serait intéressant que l’ensemble des matériaux (ex. les moquettes) soit réutilisé ensuite dans les appartements ou les bureaux. Il y a un juste milieu à trouver pour chaque produit. A l’heure actuelle, on ne peut pas faire de généralité et affirmer que tous les matériaux seront réemployés, ce n’est pas vrai. Il faut que nous arrivions à des objectifs en accord avec nos lois, nos directives et nos ambitions.
Voyez-vous des changements/évolutions sensibles dans les demandes sur l’économie circulaire de la part de vos clients ?
Certains maîtres d’ouvrage ont de vraies convictions sur le sujet, d’autres trouvent qu’entrer dans une économie circulaire est en vogue et innovant et que cela les différencie de la concurrence. En général l’économie circulaire est de plus en plus explorée sur nos projets via un travail sur l’analyse de cycle de vie de leur bâtiment.
L’impact carbone est un paramètre qui oriente de plus en plus la conception par l’intégration de matériaux faiblement carbonés (taux de matières recyclées dans sa composition, biosourcé, process vertueux, réemploi, etc.) Nous poussons donc nos clients à entrer dans cette démarche d’économie circulaire.
Voyez-vous un secteur en particulier qui a de fortes convictions en matière d’économie circulaire ?
Nous avons beaucoup de projets en tertiaire mais aussi dans le secteur public comme les écoles, salles de spectacles etc. En tertiaire (bureaux), cela est lié à la conviction du client : politique interne en faveur de la réduction de l’empreinte carbone dans leur parc tant au niveau des produits de construction que d’un point de vue énergie. Dans les cahiers des charges des commandes publiques, est intégré le pourcentage de recyclabilité des matériaux ou un pourcentage de réemploi. Beaucoup de démarches d’économie circulaire viennent des régions ou des départements.
La France a adopté une politique volontariste vers la transition écologique :
- Energétique et bas carbone avec la RE2020,
- Vers la sobriété dans l’utilisation des ressources et la réduction des déchets avec la loi Economie circulaire passée fin 2019 et dont les décrets sont en cours de préparation.
Comment voyez-vous la cohabitation de ces lois, sont-elles cohérentes ou pensez-vous qu’une prochaine révision de la RE est nécessaire pour réussir l’intégration des enjeux climatiques et des ressources dans une approche globale du développement durable dans le bâtiment ?
Selon moi ces lois sont cohérentes. Par contre, beaucoup de points ne sont pas figés et restent encore à préciser par décrets.
La loi sur l’économie circulaire intégrant les objectifs de recyclage ou de réemploi va contribuer à décarboner les bâtiments.
J’espère que ces deux lois vont faire prendre un grand tournant au bâtiment.
Des lois cadre ou des labels sur les émissions de GES liés à la production et l’utilisation des matériaux dans le bâtiment donnent lieu à la réalisation d’ACV et rédaction de FDES. Quel bilan pouvez-vous faire de leur utilisation. Sont-elles toujours fiables, exhaustives ?
On ne peut pas mettre l’ensemble des industriels sur le même pied d’égalité : il y a beaucoup de FDES vérifiées, ce qui est très positif pour la RE 2020. De manière générale, leurs émissions carbone sont plus faibles qu’un matériau couvert par une FDES collective ou encore une donnée environnementale par défaut.
Les industriels ont mis de plus en plus de FDES individuelles ou collectives sur le marché. Afin d’atteindre les objectifs bas carbone, le choix de matériaux ayant une FDES individuelle sera très certainement privilégié.
Chez Tarkett nous mettons à disposition des FDES individuelles par produit, comment utilisez-vous les FDES individuelles et collectives ?
Afin de réaliser l’ACV E+C-, si la référence commerciale exacte est décrite dans le CCTP, nous utiliserons la FDES individuelle ou collective (intégrant le produit). Si la référence commerciale ne dispose pas de FDES collective, nous prendrons les données environnementales par défaut. Pour améliorer l’impact carbone, des variantes pourront être proposées si le produit apporte les mêmes garanties techniques (classement UPEC, feu, acoustique ou autre), et qu’il dispose d’une FDES individuelle.

Nous avons beaucoup de labels sur nos produits (Cradle to Cradle®, Eurofin, GUI etc…), sont-ils pertinents et vous aident-ils à la décision ?
Outre ce travail sur l’impact carbone avec les FDES, nous avons toujours des demandes en lien avec la qualité sanitaire des produits et notamment sur la qualité de l’air intérieur pour les chantiers avec certification. Les labels sur la qualité de l’air intérieur sont plus fiables que l’étiquetage sanitaire français puisque ce dernier est déclaratif (ce n’est pas une garantie que les produits aient été testés). Nous demandons les rapports d’émissions pour être sûr des niveaux atteints et sur les opérations où la qualité d’air est un enjeu, des labels spécifiques comme GUT, Greenguard, Blue Angel, Eco Label Institut, etc.
Des mesures de la qualité de l’air à la réception du chantier sont de plus en plus réalisées, ainsi nous devons nous assurer que la qualité de l’air des produits de construction soit optimisée (dans le cadre de projets HQE et BREEAM, avant que le bâtiment ne soit meublé).
Pour une meilleure transparence vis-à-vis de nos clients, nous avons développé des MHS (Material Health Statements) déclarant la composition détaillée de nos produits afin d’éclairer nos clients dans leurs choix de matériaux (qualité sanitaire environnementale, recyclabilité des produits en fin d’usage), est-ce une réponse à une demande de plus en plus importante de vos clients concernant le choix des matériaux ?
Ce type de document est très intéressant pour le choix des matériaux ! Cela complète bien les FDES.
Nous avons mis en place un programme de collecte et de recyclage des chutes de pose ou des revêtements de sol en fin d’usage (ReStart®) est-ce que cela peut-être un critère de choix pour la sélection des produits ? Est-ce une demande forte de vos clients ?
De par notre fonction, nos clients ne nous demandent pas spontanément de programme de recyclage des déchets. Par contre, nous fixons des objectifs de valorisation et de suivi du tri des déchets sur les chantiers et nous pouvons donc recommander que ce programme soit mis en place !
Pour des diagnostics ressources ou le recyclage des déchets sur des bâtiments qui vont être curés, cela peut-être aussi une solution.
Nos dalles de moquette sont recyclables après utilisation. Pour les revêtements vinyles c’est plus compliqué, cela dépend de leur durée de vie sur le chantier et du produit en lui-même : nos revêtements vinyles en pose libre et de construction homogène sont recyclables après utilisation (pour ces derniers, nous avons développé une technologie de nettoyage des résidus de colle et de ciment pour les revêtements homogènes produits après 2011 -sans phtalate-).
Anticiper la fin de vie des produits peut vraiment faire la différence pour la maîtrise d’ouvrage et va émerger de plus en plus !
A toutes les phases d’un projet, nous prenons en compte les sujets sur l’économie circulaire. Pour l’anticipation du changement d’usage ou éventuellement la déconstruction, nous favorisons les matériaux en pose simple, facilement démontables et réemployables ou recyclables (plutôt que des matériaux voués à l’enfouissement).
Enfin, le BIM intégré dès la phase conception et même en exploitation va être un vrai levier pour l’économie circulaire et le réemploi. Cela pourra permettre de savoir quand a eu lieu la dernière rénovation, quels produits avec leurs spécificités techniques ont été utilisés, de connaître les gisements et créer ainsi une économie circulaire à l’échelle locale.
Légende photo : AltoSphere.
