Les regards croisés : Nathalie Tchang, Présidente, Tribu Énergie

Les regards croisés : Nathalie Tchang, Présidente, Tribu Énergie

Créé en 2002, Tribu Energie est un Bureau d’études spécialisé dans l’énergie et le développement durable qui se positionne aujourd’hui comme un acteur majeur dans le domaine de la réhabilitation énergétique, de par sa maîtrise des risques de pathologies.

Pionnier dans le domaine de l’énergie positive, Tribu Energie conçoit des bâtiments et des zones urbaines plus économes en énergie et respectueux de démarches environnementales globales. Ses missions sont diverses et vont des calculs énergétiques à la définition de stratégies énergétiques complexes pour des industriels ou des collectivités. Implanté à Paris, à Rennes et à Lyon, le bureau d’études opère sur l’ensemble du territoire français et à l’international.

En regard croisé avec Myriam Tryjefaczka, Directrice Développement Durable et Affaires Publiques chez Tarkett, Nathalie Tchang, Présidente de Tribu Energie se confie sur les questions environnementales actuelles.

Madame Tchang, vous êtes une experte reconnue des questions environnementales dans le bâtiment. Quelle est votre vision de l’économie circulaire ?

L’objectif de Tribu Energie est de valoriser les pratiques vertueuses. L’économie circulaire est donc très importante pour nous : nous avons créé un pôle économie circulaire il y a un an pour promouvoir la circularité

sur les opérations sur lesquelles nous intervenons aussi bien en maitrise d’œuvre qu’en AMO, que ce soit pour les bâtiments neufs ou en réhabilitation. En parallèle, nous participons aux travaux d’élaboration de la RE 2020 qui a pour objectif de promouvoir les bâtiments bas carbone et l’économie circulaire s’inscrit dans cet objectif. L’économie circulaire est à intégrer de manière globale, ce n’est pas seulement le recyclage ou « faire du neuf avec du vieux ». Ex : les bureaux sont à réhabiliter tous les 20 ans à peu près, donc on doit aussi pouvoir réutiliser les produits, leur donner une seconde vie. 

L’économie circulaire, ce n’est pas uniquement la réutilisation, c’est aussi choisir des matériaux recyclables et contenant des matières recyclées comme les produits Tarkett. Nous avons aussi de plus en plus demandes de la prescription de matériaux biosourcés (ex. le linoléum mais aussi le parquet).

De plus, recycler les déchets de chantier effectivement c’est très important. Ainsi, selon nous, les efforts des fabricants doivent se concentrer sur le recyclage des matériaux en fin de vie pour qu’ils ne soient pas mis en incinération. C’est notre préoccupation pour l’avenir (ex. pour la réhabilitation des bureaux, recycler les moquettes usagées). 

 

Voyez-vous des changements/évolutions sensibles dans les demandes sur l’économie circulaire de la part de vos clients ? 

Concentrons-nous par exemple sur les bâtiments tertiaires : les opérations sont ultra labellisées BREEAM, Leed, OSMOZ, WELL, biosourcé, E+C-, etc. La certification "HQE bâtiment durable 2016" favorise les démarches d’économie circulaire avec une problématique de distance à optimiser pour l’approvisionnement des matériaux. Mais cela doit se penser à une échelle nationale, au-delà des 150 km : on n’arrive jamais à s’approvisionner en deçà de cette distance pour un maximum de matériaux.

La mise en place d’une économie circulaire dans le bâtiment passe par la réhabilitation. C’est pourquoi, dans les années qui viennent, les gros chantiers seront des réhabilitations des parcs existants plutôt que des constructions neuves.

Comment valorisons-nous notre patrimoine (ex. les centres villes) ? Ensuite on s’intéresse aux choix matériaux et en tant qu’industriel vous avez un rôle à jouer.  Par contre il y a des problématiques économiques à lever : réhabiliter coûte presque deux fois plus cher que de construire des bâtiments neufs. 
 

La France a adopté une politique volontariste vers la transition écologique : 

  • Energétique et le bas carbone avec la RE 2020, 
  • Vers la sobriété dans l’utilisation des ressources et la réduction des déchets avec la loi Economie circulaire passée fin 2019 et dont les décrets sont en cours de préparation. 

 

Comment voyez-vous la cohabitation de ces lois, sont-elles cohérentes ou pensez-vous qu’une prochaine révision de la RE est nécessaire pour réussir l’intégration des enjeux climats et ressources dans une approche globale du développement durable dans le bâtiment ? 

Il n’y a pas d’incohérence entre ces deux lois, la future réglementation RE 2020 pour les bâtiments neufs va pousser à choisir les matériaux les plus vertueux possibles et vise à ce que les industriels soient transparents et forcément ça tire la profession vers le haut (ex : FDES) donc c’est très positif. On peut espérer que cette réglementation qui concerne uniquement les bâtiments neufs sera étendue aux bâtiments existants, puisque les réglementations énergétiques actuelles dans les bâtiments existants n’intègrent pas les émissions carbone et surtout leur évitement par rapport à des constructions neuves.

Les réglementations tirent le secteur vers le haut et renforcent les meilleures pratiques. 

 

Quels sont les défis / freins à lever pour réussir la transition vers l’économie circulaire (lois Economie circulaire, label E+C-, RE etc…) ?

Pour réussir la transition, nous devons d’abord réaliser des opérations vertueuses exemplaires et aller au-delà des réglementations. Nous devons ensuite les mettre en avant pour donner envie aux autres de faire de même

, motiver les maîtres d’ouvrage pour que ces opérations vertueuses puissent être dupliquées à grande échelle. Il faut continuer le travail effectué par Tarkett également et communiquer dessus (cela va tirer les autres industriels vers le haut). Nous devons montrer que cela est possible avec un minimum de surcoût et que c’est accessible pour chaque opération.

Des lois « cadre » ou des labels sur les émissions de GES liés à la production et l’utilisation des matériaux dans le bâtiment donnent lieu à la réalisation d’ACV et rédaction de FDES. Quel bilan pouvez-vous faire de leur utilisation. Sont-elles toujours fiables, exhaustives ? Y a-t-il une prime aux fabricants vertueux à travers ces outils ?

Les FDES durent cinq ans, le but est de détecter les anomalies, les améliorer. La Base INES est transparente et gratuite. C’est grâce à la transparence que petit à petit les données vont être plus précises, c'est donc aux fabricants de faire bouger leur industrie. 

Si Problème : comment rallier le marché à des pratiques plus fiables et exhaustives (FDES, ACV etc… ?) et inverser la tendance ? 

Si un fabricant ne dispose pas de FDES, soit à titre individuel, soit de manière collective, le bureau d’études qui réalise le calcul ACV doit utiliser une valeur environnementale par défaut qui est très pénalisante, c’est donc un premier frein à la prescription. Il sera donc de plus en plus difficile pour des industriels de ne pas s’inscrire dans ce type de démarche.
J’espère que les CCTP seront systématiquement complétés à l’avenir avec des valeurs seuils liées aux données environnementales.
Et que les entreprises seront vigilantes sur ce point lorsqu’elles proposeront des variantes…

Quels sont pour vous les labels/certifications les plus avancés dans l’éco-construction sur l’éco circulaire / empreinte carbone ? Quels sont les plus fiables ?

Il y a une profusion de labels, comment s’y retrouver ?  Nous préférons avoir une démarche cohérente de mettre « le bon matériau au bon endroit » plutôt que de regarder uniquement par exemple l’empreinte carbone du produit qui peut être très bonne mais catastrophique sur un autre critère.

Le défis d’aujourd’hui : comment concevoir bas carbone ? Le défi de demain : comment concevoir bas carbone dans une démarche d’économie circulaire ?

Pour une meilleure transparence vis-à-vis de nos clients, nous avons développé des MHS (Material Health Statements) déclarant la composition détaillée de nos produits afin d’éclairer nos clients dans leurs choix de matériaux (qualité sanitaire environnementale, recyclabilité des produits en fin d’usage, est-ce une réponse à une demande de plus en plus importante de vos clients concernant le choix des matériaux ? Voyez-vous une tendance à plus de questionnement sur la non toxicité des matériaux de la part de vos clients ?

Oui bien sûr c’est quelque chose sur lequel nous sommes très vigilants. La composition du produit est très importante : je suis 100% favorable à ce que les industriels soient de plus en plus transparents sur le sujet.

Pour des projets de crèche ou d’établissements scolaires par exemple c’est essentiel de connaître la composition pour préconiser des matériaux sains. Votre démarche CtoC et les MHS donnent la composition des produits : ces outils peuvent faire la différence dans le choix des revêtements de sol.

Qu’attendez-vous d’un fabricant de matériaux et de produits de construction dans un projet circulaire ?

Un industriel doit mettre à disposition un maximum de données pour que nous puissions convaincre les architectes et les maîtres d’ouvrage de la pertinence des produits pour leur projet. Ces derniers doivent avoir toutes les informations en main pour choisir le matériau les plus adapté dans une démarche de coût global, car il ne s’agit pas non plus de choisir un revêtement ayant un faible impact carbone mais qui serait à remplacer plus souvent. Tarkett par exemple a été l’un des premiers à faire des FDES. 

Nous avons mis en place un programme de collecte et de recyclage des chutes de pose et revêtements de sol en fin de vie (ReStart®), est-ce que un tel programme devient un critère de choix pour la sélection des produits ? Est-ce que c’est une demande forte de vos clients ? Ou est-ce une conviction personnelle pour faire bouger les lignes ? 

Pour des gros chantiers, c’est effectivement un atout, qui permettra de s’insérer dans nos pré-réquis liés à l’économie circulaire et dans l’objectif d’un chantier « propre ». Le souci est que certains industriels font payer ces programmes de collecte et lorsque l’on additionne tous les coûts de l’ensemble des matériaux, cela peut devenir un frein.

Dernière question d’actualité : en quoi le Covid selon vous va-t-il impacter l’économie circulaire dans le bâtiment dans les prochains mois/années ou reprendre avec de meilleurs pratiques ?

Je n’ai pas de boule de cristal pour prévoir l’avenir mais

j’espère que l’économie circulaire va être utilisée comme un levier créateur d’emploi incontournable.
 

 

Légende photo : SWAYS -Issy Les Moulineaux- Restructuration de bureaux exemplaire en économie circulaire - Maître d’ouvrage : Bouygues Immobilier - Architecte : Béchu et associés _ AMO environnement : Tribu Energie